Blues en Loire
24 et 25 août 2007
Satisfaction Roots Band,
Loreney, Women of Chicago
Stinky Lou & the Goon Mat,
Nico Backton & the Wizards of Blues
Sweet Mama, Paul Oscher
De: Pierrot Mercier
date : 25 août 2007
Je reviens de Blues-en-Loire et je ne résiste pas plus longtemps à l'envie d'en parler
Déjà pour remercier l'équipe du Chat Musiques (encore et toujours - et vite 2008, hein Fabien ?)
Ensuite pour féliciter Loreney & the Sugar Strings Quartet, Nico Backton & the Wizards et Sweet Mama.
Enfin pour ne pas féliciter Paul Oscher parce qu'être un
génie de l'harmonica, un chanteur inspiré et un
féroce guitariste ça n'autorise pas à ignorer le
groupe derrière - de purs talents qui méritaient un peu
plus d'attention, sinon de partage.
Cette cinquième édition du festival bourguignon a
commencé sous le soleil, arrivé in extremis. La
météo avait été incertaine jusqu'au dernier
moment, ce qui avait contraint l'équipe du Chat Musiques
à installer une toile au-dessus de la petite scène du
jardin des Bénédictins. Finalement cet équipement
fut plus gênant que confortable le premier jour (encore frais)
mais procura aux musiciens un ombrage bien appréciable le
second. Il faudra quand même trouver quelque chose de plus vaste
pour les éditions suivantes, les grands gabarits comme Nico
Backton étant dissimulés aux regards des spectateurs
comme aux objectifs des photographes.
Premiers à bénéficier de cette ombrelle les
tourangeaux de Satisfaction Roots Blues Band groupés autour de
la chanteuse Aurélie Périard, occupent la place
traditionnellement dévolue aux groupes régionaux avec le
privilège (et aussi la charge) d'ouvrir le festival.
Présentée comme "un subtil mélange du blues
traditionnel et du son R&B d'aujourd'hui", leur prestation n'eut
pas, en fin de compte, le coté roots annoncé par leur
nom. On en retiendra quand même qu'ils étaient tous
excellents techniciens et qu'Aurélie tenait avantageusement sa
place ;-).
Personnellement j'ai regretté de ne pas voir à la
même place les (?) Buddies qui s'échauffaient au
même moment sous les voûtes du Prieuré, attendant
d'animer l'inauguration du festival et de l'expo photo (Guy Le Texier).
Ils devaient d'ailleurs intervenir à d'autres reprises dans le
cadre du festival "off", pas forcément bien indiqué. Nos
chemins ne sont hélas plus croisés. Dommage car le peu
que j'en ai entendu m'avait fait envie - déjà le slide
tenu par Jean-Claude Durand. (nb: il semblerait que le groupe,
composé donc d'une part d'Old Bluesters pour trois parts de Lazy
Buddies se soit nommé Old Buddies pour l'occasion).
Un petit tour par la Pomme d'Or, histoire de prendre des forces en
dînant sur la terrasse en la joyeuse compagnie des amis de Blues
Mag (Dominique et Sylvie, rencontrés ici l'an passé) et
nous voici revenus juste à temps pour découvrir Loreney
& the Sugar Strings qui assurent la première partie sous le
grand chapiteau.
La gracieuse Loreney, toute fluette pour une chanteuse de Blues s'il
faut la comparer aux gabarits des têtes d'affiche qui vont lui
succéder, ne manque pas de présence pour autant.
Chanteuse expérimentée, particulièrement dans le
gospel (avec les Soul Voices), elle est connue sur la scène
blues française depuis quelques années maintenant mais
nous n'avions jamais eu le plaisir de la rencontrer. Ce soir c'est la
facette plus acoustique de son blues qu'elle nous présente (par
opposition au Loreney Blues Band) avec les Sugar Strings, le trio
original de cette formation s'étoffant en quartet avec Thierry
Guignard à la batterie et/ou au washboard.
J'ai dit par ailleurs tout le bien qu'il fallait penser de
Stéphane Barral, que nous croisâmes du temps du Mojo Band
(ah quel groupe aussi...), il faut en dire autant de Jean-Jacques
Cigolini (époux de Loreney, Roselyne à la ville), un
guitariste comme je les aime : in-spi-ré.
Le set est trop court (surtout pour nous, attardés par nos
échanges amicaux et gastronomiques ;-) mais tous se promettent
de les revoir dés demain, le trio étant programmé
à 12 h au bar du Centre.
Il est en effet temps d'accueillir l'imposant plateau des Women of
Chicago : les trois stars sont accompagnées ce soir par, excusez
du peu, Billy Flinn (g), Kenny Smith (d), Felton Crews (b),
Raphaël Wressnig (k). Qu'en dire ? juste, comme je
l'écrivais dés mon retour, "que Grana Louise est
jubilatoire, Deitra Farr émouvante et Zora Young ... superflue"
- elle était pourtant en forme à Chédigny mais
manque d'âme ce soir et on aurait préféré
écouter Deitra plus longtemps. Mais bon, ça un beau
être un show rodé (ou justement à cause de
ça) - ça fait depuis mars qu'elles tournent - tout le
monde a des jours sans...
Samedi midi, au bar du Centre plus une table n'est libre. (Il n'y a pas
les 600 personnes de la veille quand même !-)) Cela ne fait rien,
il fait beau et nous pouvons rester debout pour déguster, en
guise d'apéritif, une nouvelle ration de Sugar Strings.
Après un pique-nique sur les bords de Loire nous revenons
vers les Bénédictins à l'heure où se
produisent Stinky Lou & the Goon Mat. C'est, comment dire...
franchement rugueux et même carrément abrasif. Le
chanteur/batteur qui braille dans un micro d'harmonica distordu,
désolé c'est pas beau. C'est comme tout, faut de la
nuance, là y en a pas, y a que de l'énergie. Je veux bien
reconnaître que c'est entraînant, mais c'est vite fatigant
le boogie grunge (ou ce n'est plus de mon âge). L'harmoniciste
part se promener dans le public, escalade les ruines, revient rejoindre
la horde qui rameute les mémères en bramant "Show me your
tits!".
Je dis : Non.
Mais on peut aimer ! Pour preuve, les Wizards qui attendent leur tour
à l'ombre du Prieuré et que je retrouve avec plaisir. Ils
sont ravis de l'accueil et du cadre et fort attentifs à la
prestation de leurs ouvreurs. Nous discutons peu de temps car ils
doivent aller se changer.
Quelques instants plus tard nous retrouvons donc Nico Backton & the
Wizards of Blues pour une de ces ballades au pays du Blues dont ils ont
le secret et dont on ne se lasse jamais. Le set commence très
fort avec Lost Lover Blues, probablement la plus belle chanson de leur
répertoire, en tout cas le titre majeur de leur premier album.
Sans supplément de prix la Gazette vous en offre un extrait,
comme cela vous aurez l'image et le son :). Les titres
s'enchaînent à la grande joie du public qui cuit doucement
en plein soleil mais, ne voulant quitter sa place pour rien au monde,
s'abrite comme il peut. Les exemplaires du Journal du Centre
généreusement distribués sont pour l'heure
transformés en chapeaux. Mais on n'est pas là pour lire !
Le set se termine, après un passage solo de Nico et une
démonstration de cigar-box (ps Nico arrête de dire que cet
engin a un son affreux !) par une promenade de l'harmoniciste dans le
public (bien pratique le micro HF hein, Richie ?). Rappel
évidemment - mais il faut se quitter. Comment ça, presque
2 heures de concert ? ben dis donc on n'a pas vu le temps passer !
Sur l 'agréable terrasse de la Pomme d'Or, nous sommes ce soir
fois dix à table, l'équipe de base étant rejointe
par Max Del Paso, son épouse et ses amis locaux. On parle photo
bien sur ! Mais on s'active avec un menu léger pour être
plus à l'heure que la veille - sans faire l'impasse sur le pain
d'épices de la forêt des Bertranges, on n'est pas des
sauvages tout de même !
Pile à l'heure ! Mais trop tard : toutes les places sont prises
! Zût.... Le public charitois est excellent : attentif,
concerné et chaleureux, tous les musiciens le diront, mais il a
son petit confort ! Sans dec', le Chat, faudrait mettre un peu plus de
chaises... Bon, on ne va pas se laisser naufrager, un petit tour par le
camion et hop les fauteuils de camping sont installés. Nous
avons le temps de faire cette excursion car le programme a un peu de
retard. Il paraît que la balance de Paul Oscher a
été plus longue que prévue...
Enfin Elizabeth Levannier vient nous présenter Sweet Mama et la soirée peut commencer.
Et de quelle belle façon ! Rarement on a entendu ici quelque
chose d'aussi parfaitement mis en place, musical, varié,
entraînant. Ce n'est pas forcément du Blues, c'est d'abord
et avant tout de la Musique. Redisons-le encore : ce n'en est pas (c'en
est parfois quand même) c'est plus du vieux jazz - ragtime,
new-orleans, manouche, que sais-je encore ? J'en parle avec les Wizards
qui sont décidément des spectateurs attentifs, curieux de
tout, des vrais musiciens quoi, toujours intéressés par
ce que font les autres. Ils restent tout au long de cette partie vers
l'avant du chapiteau, debout dehors mais aussi prés que possible
de la scène et sont, comme nous, impressionnés par le
travail de cette joyeuse formation. (pourtant chacun sait comment Nico
et les siens travaillent leurs arrangements... ) Moi ça me fait
penser un peu aux enregistrements de Robert Crumb avec ses Cheap Suit
Serenaders, toute cette vieille musique oubliée qui coexistait
jadis sans problème avec le Blues.
Alors évidemment les avis des 'spécialistes' sont
partagés. Y en a qui pensent que ce n'était pas leur
place, qu'ils auraient mieux été dans le jardin - en
annexe en quelque sorte :(.
D'autres, comme moi (mais suis-je spécialiste ? hum) diront :
- que c'était réjouissant,
- qu'il y avait des vrais morceaux de Blues dedans (encore qu'il y eut pu en avoir plus - et moins de kazoo),
- que ça a mis une sacrée ambiance : le public charitois,
qui pourtant en a vu d'autres, a parfaitement répondu . 'Sweet
Mama' Cathy Girard réussit à faire chanter toute la salle
- mais à DEUX voix, svp !
(et que ce n'est pas assurément pas leur faute si Paul a fait ensuite tomber la mayonnaise),
- que du borderline il en faut - par exemple le rock'n'roll de Ray
Sharpe en 2005 l'était tout autant (et tout aussi
réjouissant)
- que tous les festivals invitent des genres périphériques
(et que je ne parle pas de Cognac qui met la périphérie au centre ;-)),
- que ça fait un bien fou de revenir au Chicago pur et dur après un passage dans le Yiddish
(et qu'en mon humble opinion c'est un coup des frères Chess :)).
Un peu, beaucoup même, de remue-ménage sur scène.
Nous voyons arriver une bande de techniciens, s'affairant autour d'un
... pépère à lunettes noires et bonnet de laine.
Vincent Telpaert s'installe dans le noir et dans un costume sombre.
Même classe et même opacité pour Ludovic Binet et
son piano, plus visibles tous deux car plus en avant. En retrait
également Jean-Pierre Duarte. Derrière, mais au centre et
légèrement surélevées, la chemise blanche
et les baguettes de Simon 'Shuffle' Boyer. Pépère
s'installe, s'assoit au milieu de son matos, rapproche ses micros,
règle des trucs, en essaye d'autres ... commence à jouer
sans crier gare. Elizabeth se jette littéralement sur le micro
du pianiste pour présenter la légende du jour : Paul
Oscher !
C'est parti. En douceur parce que Paul prend le temps de fignoler (ou
bidouiller) sa petite sono personnelle (ou sa collection d'effets) et
aussi de se présenter, en français, avec des efforts
méritoires. Il rappelle qu'il a commencé comme commis
dans une épicerie, qu'il s'est acheté un harmonica
à deux balles, qu'un jour un Noir est entré dans la
boutique et lui a montré comment réellement s'en servir,
qu'il a arrêté de massacrer des chansons limite boy-scout
pour souffler vraiment, qu'en jour un gars (est-ce le même ?) l'a
emmené dans un club Blues, qu'il y est retourné, qu'il y
a rencontré Muddy Waters, a boeuffé avec, qu'enfin
celui-ci s'en est rappelé quand il est repassé dans le
coin avec sa tournée et que son harpist l'avait planté,
qu'il l'a embauché et logé chez lui et ... Voilà
l'histoire. Sur ces explications il nous démontre (et de quelle
éclatante façon !) qu'il avait bien mérité
cette place par son jeu génial d'harmonica (dans toutes les
tonalités et dans tous les registres).
Enfin, prenant maintenant la guitare, il nous joue du Muddy comme Muddy
le jouait, parce que pendant des années il était juste
à coté, qu'il a beaucoup écouté et bien
appris... " Listen... " et on se prend une baffe !
Seulement voilà : tout ça c'était il y a prés de quarante ans...
Ensuite Paul est tombé malade et a du raccrocher. Il ne s'en
jamais vraiment remis. Il a vivoté, arrêté la
musique, repris, des hauts, des bas. Beaucoup plus récemment il
a enregistré des albums fort appréciés mais ... en
soliste. Il n'a jamais été leader d'un groupe. Ce soir,
alors qu'il a pour lui tout seul la fine fleur des musiciens
français de Blues (et non de Blues français !), il n'en
fait rien... Les gars restent dans l'ombre à attendre que la
machine démarre et elle ne démarrera pas. Le pianiste
réussit à placer quelques phr ases, le guitariste n'a pas
cette opportunité. D'ailleurs Ludovic se fait éjecter par
Paul qui interprète Blues before Sunrise, nous rappelant au
passage qu'il partageait le sous-sol de Muddy avec Otis Spann. Quant
à Jean-Pierre , comble de déveine, quand Paul lui fait
enfin signe, voilà son ampli qui lâche ! Du coup la
vedette a un heureux sursaut d'énergie, se lève, empoigne
sa guitare et descend même devant le public pour conclure.
Final. Tout le monde reste sur l'impression bizarre d'avoir
à la fois assisté à un miracle et d'avoir
été incroyablement frustré. Nous décidons
qu'un rappel serait tout à fait déplacé et partons.
Pierrot, août 2007
La Gazette de Greenwood N°65